30.

David était allongé sur le sol dur et glacial, tous ses membres lui faisaient mal et il souhaitait mourir à ce moment précis, pour renaître dans un autre. Mais le rêve disparut et le désespoir revint lécher ses blessures. Il grelottait de froid. Et cela depuis plusieurs jours, depuis qu’ils avaient quitté Ma’an. Al-Shami et Marzuq, l’homme-requin, étaient chaudement habillés pendant la journée et avaient de quoi dormir confortablement la nuit, tandis que David ne portait que les vêtements légers qu’il avait sur lui en arrivant à la maison du FPLP. Ils mangeaient bien, al-Shami remplissait son estomac gargantuesque de mets alléchants que lui préparait Marzuq sur un feu de bois de ghada. Mais ils ne donnaient à David que du pain, en quantité insuffisante. Al-Shami ne laissait jamais de restes dans son assiette et David en était arrivé au point où il les aurait acceptés si on les lui avait offerts.

Chaque jour était une répétition de la veille. Cette monotonie accablait David, lui engourdissant l’esprit comme le froid et la faim éprouvaient son corps. Il avait essayé de s’échapper à deux reprises, mais Marzuq l’avait toujours rattrapé et ramené au campement. Ils progressaient à une vitesse étonnante. Malgré son poids, al-Shami montait très bien à dos de chameau et supportait les longues étapes bien plus facilement que David qui sentait ses muscles se froisser et se tordre sous l’effet du perpétuel mouvement de bascule que produisait l’animal.

À plusieurs occasions, al-Shami vint se mettre à côté de David pour engager la conversation. Il lui dit que Marzuq était un imbécile et qu’il ne supportait pas de parler avec lui. Il s’entretenait avec David de questions d’archéologie, faisant preuve d’une étonnante culture sur l’histoire du Proche-Orient. Il s’intéressait tout particulièrement à l’histoire de Jérusalem. David avait beau essayer de lui expliquer que l’archéologie de la Palestine n’était pas son fort, al-Shami insistait pour ramener la conversation autour de la Ville sainte. Al-Shami faisait parfois preuve d’une vive curiosité, posant à David des questions extrêmement précises sur certains aspects des fouilles (auxquelles David avait été présent sans jamais y participer), mais il perdait soudain son intérêt et se refermait totalement sur lui-même, chevauchant en solitaire silencieusement ou allant rejoindre Marzuq à la tête du groupe pour discuter avec lui.

Plusieurs fois, David essaya de retourner la situation. Il interrogea al-Shami sur Iram, sur la route à suivre et sur le but de leur voyage. Mais le gros homme se montrait peu coopératif et répondait que David saurait tout en temps voulu, du moins ce qu’on l’autoriserait à savoir. Le destin de David n’avait pas encore été décidé, disait al-Shami, tout dépendrait de l’aide qu’il était prêt à leur apporter, et de la période au cours de laquelle il se révélerait utile.

Il pleuvait parfois et on traversait à l’occasion des nappes de brouillard. David se sentait mal. S’ils l’autorisaient à s’asseoir près du feu pendant la nuit, c’était pour le surveiller de plus près. Quand les autres dormaient, on l’attachait, avec efficacité et cruauté. La nuit, le froid et l’insomnie le torturaient, dans la journée, il devait supporter sa fatigue tout en restant éveillé, ainsi que les mouvements de sa monture.

« Où se trouve Iram ? demanda-t-il à al-Shami.

— Dans le Nafud. Vous avez lu al-Halabi, vous devez bien le savoir.

— Comment y parvient-on ?

— En traversant les sables. Vous verrez. Vous verrez tout. »

Le voyage était devenu un cours de catéchisme entre lui et le vieil homme. Ils se faisaient tour à tour prêtre et catéchumène.

David pensait souvent à Leïla, s’inquiétait pour elle, et il savait qu’il ne la reverrait jamais. Il n’avait même pas la certitude qu’elle était encore en vie. La brutalité d’al-Shami semblait sans limites. Parfois il s’entretenait avec David de la mort. Il en était comme obsédé, il paraissait la connaître mieux encore que la vie. David s’imaginait qu’il en portait l’odeur sur lui, comme une femme portant son parfum préféré. Il en était amoureux et terrifié à la fois. Il en parlait avec un mélange de plaisir et de dégoût.

« Qui a bâti Iram ? demanda David.

— Ses bâtisseurs », fut l’unique réponse d’al-Shami.

Iram était un mystère et l’identité de ses bâtisseurs devait l’être également. Mais David était plus préoccupé de savoir qui habitait maintenant cette ville que d’apprendre qui l’avait construite. Il voulait aussi savoir pourquoi le secret de l’existence d’Iram était aussi jalousement gardé.